Le domaine, la philosophie par Pascal Mugneret

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Le Pinot Noir, le Terroir, le Vigneron, le Vin…

Les approches de la vigne et du vin sont souvent très personnelles à chaque viticulteur.
La mienne ne fait pas exception et, est, je n’en doute pas une seconde, discutable, mais c’est la mienne et sur notre exploitation c’est elle qui me guide.

Tout d’abord j’affectionne particulièrement le terme de vigneron, il ramène sans cesse à la terre, au bon sens paysan celui de l’observation, celui de nos grands parents, celui que nous avons tant de mal à retrouver.

En ce qui me concerne le vigneron est à la fois le meilleur ami, le confident, le médecin de famille, le protecteur d’un couple inédit, celui que forme le Pinot Noir et la terre nourricière, le terroir. Ce couple dont la pérennité, à travers les décennies, les siècles, ne doit pas faire oublier la fragilité. Nos prédécesseurs sont venus, ont œuvré, ont conféré à ce couple des forces et des faiblesses. Ce dernier possède des caractéristiques innées, génétiques mais aussi acquises sous l’influence des soins prodigués par des générations de vignerons année après année.

Une saison, de la chute des feuilles l’année n-1 à la récolte de l’année n, c’est une nouvelle grossesse que va connaître le couple Pinot Noir / Terroir. Si la climatologie est relativement clémente, si les soins du vigneron se font attentifs et respectueux la grossesse ira à son terme dans de bonnes conditions.
La conduite de la vigne est alors un savant mélange d’interventions (labours, taille, ébourgeonnage, relevage…) dont la date et le ‘dosage’ sont très importants et de moments de contemplation indispensables pour demeurer dans le geste juste… Et on est toujours en quête de justesse pour être dans l’accompagnement le plus adapté… Comme un père peut l’être avec ses enfants avec ses réussites et ses déceptions… L’humilité devrait être la plus grande qualité du vigneron.

Gerard MUGNERET 

Au moment de la vendange, c’est le nouveau-né qui se prépare. En arrivant à la cuverie le raisin, fruit de l’union du Pinot noir et du Terroir, est encore un être pluricellulaire sans grande cohérence (tout est séparé, le jus, les anthocyanes, les précurseurs d’arômes, les tanins…). La vinification et plus précisément la fermentation alcoolique, au sein de la ‘maternité viticole’, correspond à la phase de travail lors de l’accouchement. Lorsqu’il n’y a plus de sucres fermentescibles le vin voit le jour, brut mais déjà cohérent, les traits vont rapidement s’affiner dans les jours qui vont suivre, notamment lors du débourbage (les sédiments les plus lourds, les moins nobles se déposent au fond de la cuve).

L’enfant va alors quitter la maternité pour rejoindre sa famille d’accueil, son père nourricier, le vigneron, c’est en fûts, spécialement choisis,  que le petit dernier est installé, c’est le début de l’élevage, l’enfance du vin. Rapidement le vin s’affirme, s’affine, l’enfant grandit.

Vient ensuite, plus ou moins rapidement, la crise d’adolescence, c’est la fermentation malolactique, on reconnaît plus difficilement l’enfant du début, mais passé cette crise si le père adoptif sait être, une fois de plus patient et attentionné, l’adolescent turbulent va se muer en jeune adulte qui s’affirme, on retrouve les traits de caractère des parents (Pinot Noir et Terroir) , les liens du sang avec les millésimes précédents deviennent plus évidents et pourtant ce jeune individu sera unique, il est porteur d’une histoire, d’un héritage.

Et puis un jour arrive où un certain niveau d’équilibre est atteint, le vin est prêt, prêt à se soustraire à l’autorité ferme mais juste de celui qui à donner tout son cœur pour qu’une certaine harmonie habite ce vin. Le grand jour c’est celui de la mise en bouteille, la majorité, ce jour où le vin va vivre sa propre vie.
Certes pendant quelques temps il restera à l’abri dans la cave de celui qui le protège encore un peu. Et enfin le vin part, il aura une vie plus ou moins bien accomplie en fonction des aléas (conditions de stockage, bouchon, léger dépôt, etc…) mais aussi en fonction des conditions de sa naissance alors qu’il n’était que raisin et enfin en fonction des valeurs dans lesquelles il a été élevé (le style, la patte du viticulteur).

En résumé, tous les vins ne sont pas exceptionnels, de grande garde… Comme nous ne sommes pas tous beaux, riches, forts et intelligents.  Mais chacun d’entre nous mène sa barque, chaque vin racontera une histoire, une histoire qu’il faudra recueillir jeune si le vin a connu une naissance difficile et au contraire une histoire dont on prendra connaissance après et pendant plusieurs années pour que la rencontre soit encore plus belle.

On ne devrait jamais comparer les vins, comme on ne devrait jamais comparer les hommes.
Les vins sont comme les individus, ils doivent être pris pour ce qu’ils sont, ni plus, ni moins. Dans cet esprit il y aura plus ou moins d’affinité entre le vin et celui qui le déguste ; cette affinité peut conduire à des émotions très fortes. Les émotions naissent à partir d’un contexte, on doit être ouvert quand on s’apprête à ouvrir une bouteille que ce soit pour soi, à deux ou bien pour un moment de partage entre amis. Le vin est l’étincelle de ces moments ou le temps reste suspendu, moment de grâce où tout semble en harmonie : les gens, le lieu, l’instant. On parvient toujours à se remémorer le vin déguster dans ces moments-là.

Le vin, souvenir climatique d’un lieu que nous livre la vigne,
vin porteur du souvenir des instants précieux partagés entre amis.
  • à conserver
  • à consommer ou conserver
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